dimanche 21 février 2010

Calypso et Circé, Pénélope et Nausicaa

J'écoutais dernièrement la fabrique de l'Histoire sur France-Culture, une fabrique du vendredi qui reprenait ainsi "l'actualité" de l'Histoire et, en particulier, citait un dossier spécial du magazine Historia sur Ulysse et son rapport aux femmes dans l'Odyssée.

Comme souvent Pénélope et Nausicaa étaient ainsi présentées comme des personnages positifs, Calypso et Circé comme des personnages négatifs. Pendant des années j'y ai cru, et même après l'avoir lu au collège, en me disant que je devais vraiment être un piètre lecteur pour ne pas avoir saisi toute cette distribution de femmes, tout de même bien malmenées, comme semble le dire Historia et comme je l'ai de toutes façons entendu dire par ma grand-mère et mes vieux professeurs, par la domination masculine et l'entremise symbolique d'Ulysse.

Sauf que c'est débile, je le sais désormais. Et il n'y a bien que de vieux 20e-siècleux pour projeter de la sorte leur fantasme sous la forme d'une dénonciation.
Commençons pas Nausicaa, cette usurpation scandaleuse, qui n'est citée par Homère que comme un personnage vaguement tertiaire: elle n'intéresse ni l'auteur ni le héros, je dois dire qu'elle ne m'a pas intéressée Voici donc une vierge dont la virginité n'est mise en valeur que de manière consécutive à sa jeunesse, face à un Ulysse, guerrier usé sur le retour et totalement sous le coup d'une dépression monumentale, qui ne connait plus son nom, qui ne sait plus s'il est encore virile. Alors oui, c'est vrai, il va la retrouver sa virilité,  redevenant Ulysse, mais dans l'articulation inter-générationnelle avec Nausicaa, pour retourner à Pénélope mais avant à Télémaque en tant que père. La virginité n'est valorisée que par les (vieux) lecteurs de l'Odyssée car Ulysse dit à Nausicaa qu'elle n'a pas à se soumettre au désir mâle de l'homme, il s'en va en la laissant libre.
Ulysse retrouve alors sa femme. Pénélope qui serait, dit-on, restée fidèle à son mari... faut-il être sot et macho pour ne pas lire ce qu'écrit Homère, tout simplement. Pénélope est une veuve, quand bien même son mari serait vivant. Elle sait ce qu'est la virilité dans la barbarie de l'intimité, dans la trivialité de l'acte sexuel qui est sensé la fonder (mais qui disparait vite lorsque la femme accède à un espace de socialisation commun de l'homme), et, ayant officiellement et légalement perdu sa viriginité, elle ne se soumet plus au désir de l'homme. Et à son mari ? Mais bien sûr que non elle ne se soumet pas non plus. Elle le lui dit: quand bien même il serait vivant elle est une veuve pour lui aussi, et il faudra bien qu'il la séduise... avant de repartir. Car c'est définitif, Pénélope est émancipée.
Que s'est-il passé dans ce voyage, pourquoi ne pas être revenu tout de suite auprès de sa femme ? Ulysse a rencontré Circé, qui n'a de sorcière que l'émancipation de l'homme elle aussi. Historia nous dit qu'elle est subjuguée par Ulysse. Oui Ulysse est un séducteur et séduisant, mais sa "séduisance" lui échappe complètement. Ainsi Circé choisit parmi les hommes qui se présentent à elle celui qui lui plait, parce qu'elle a droit à ses propres désirs. Les autres, qui voudraient sans doute profiter d'elle (et on ne rentrera pas dans une analyse fastidieuse des divers symboles utilisés), sont des animaux, des porcs, et elle profite d'Ulysse pour son propre plaisir pas du tout soumis. Ulysse, séducteur minable qui s'effondre petit à petit au sortir d'une guerre qui ne l'intéressait déjà pas trop trop, prend son plaisir lui aussi, loin de sa femme. Et, finalement, ce n'est pas horrible.
Vient alors Calypso, si mystérieuse. Il est resté 10 ans auprès d'elle, une "faute" a été commise, et Homère ne parle que de la libérté qu'elle rend à notre héros. Et Historia (selon France-Culture) de reprendre les poncifs d'une hystérique (mot jamais écrit ou prononcé parce que son usage finirait de démasquer le sexisme qui se cache non pas dans l'oeuvre mais bien chez le lecteur), colérique et possessive. Mais non, Homère ne l'accable pas dans le texte, elle n'est punie par personne. Elle dit simplement à un homme un peu détruit de partir. Se rend-elle compte qu'Ulysse a un désir d'ailleurs (et non spécifiquement de Pénélope car on le verra à la fin, à peine arrivé il repartira), ou tout simplement elle en a marre des ses appitoiements ? Personnellement je ne sais pas pourquoi Ulysse est resté 10 ans avec Calypso, qui ne semble pas être n'importe qui non plus... mais je trouve que la seule explication plausible, le passif si lourd qui existe entre les deux personnes qui se cachent derrière les deux personnages pourrait bien être aussi simple et naturel qu'un enfant. Ne serais-je pas en train de projeter moi-même mes fantasmes sur la belle Calypso que je ne trouve pas du tout négative ? Toujours est-il qu'elle ne se soumet effectivement pas à Ulysse elle non plus, qu'elle ne se soumet pas aux hommes en général et que, bien plus douce que tous les commentaires qui l'entourent, elle n'est pas punie pour autant par Homère.

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